C'est dans les vieux pots...

Dieu sait qu’il n’est pas simple d’éprouver la puissance esthétique d’une œuvre d’art dès qu’elle est antérieure à une Renaissance tardive au mimétisme pointilleux (hey ! il n’y a pas de perspective et les bonhommes sont mal dessinés !) ou postérieure à l’éclatement des formes de la fin du XIXème siècle (mon petit cousin de six ans ferait mieux !). Ajoutons-y la perte de repères due à l’exotisme et c’est la noyade. Evidemment, il n’est pas question de résumer trente huit siècles de création artistique (à Paris, le musée Guimet et le musée Cernuschi s’en chargent), voici donc quelques points de contact avec l’art chinois.


L’apport anthropologique des bronzes antiques à la compréhension de la pensée chinoise est énorme tant on y trouve, déjà formés, d’éléments invariants de la création qui lui fait écho. Leur intérêt n’est pas qu’historique. A l’époque des Shang, du XVIème au XIème siècle avant notre ère tout de même, les artistes réalisaient des vases d’une finesse rare.

L’appropriation de la surface de l’objet, compartimentée, foisonnante, extrêmement détaillée, décorée sur plusieurs niveaux (les entrelacs les plus grands étant eux-mêmes recouverts de courbes plus petites, entre lesquelles se nichent encore d’autres minuscules spirales) traduit la compréhension du monde du sculpteur, projetée, matérialisée et symbolisée. Dans cette cosmologie en miniature, au milieu d’une nature luxuriante d’entrelacs végétaux se détachent des motifs d’animaux, souvent imaginaires (dragons !), et des hommes pour le moins discrets.

’artiste chinois ne sera jamais réellement anthropocentriste, comme ont pu l’être les européens sous l’influence de leur Dieu, créé à leur image (ou l’inverse). Apparaît dès lors la prééminence du tout, de l'harmonie cosmologique, sur l'individu et sa singularité, ce que l'on retrouvera jusqu'à l'époque la plus contemporaine.

 

Une verseuse gong du XIIè au couvercle en forme de... limace anthropophage ?

 

Un autre élément notable est la représentation par des symboles magiques des forces à l’œuvre dans la nature. La pensée primitive, ou sauvage, avec une causalité qui lui est propre, investit ces symboles d’une puissance véritable. Par exemple, les croque-mitaines. Les chinois tremblaient à l’idée d’être dévorés par ces génies gloutons (dits « taotie ») et exorcisaient leur peur en exhibant ces visages monstrueux, souvent très stylisés.

 

Une jarre pou auparavant utilisée pour la boisson. Avec un peu d'imagination, on distingue les yeux de deux taotie féroces cachés dans les fourrés. Probablement dissuasif après quelques louches d'alcool de riz fermenté.

 

Voici encore un taotie sur une antéfixe en terre cuite, peu avant notre ère (fin de l'époque des Royaumes Combattants, époque des Han de l'Ouest). L'antéfixe est une tuile décorée placée à l'extrémité de la pente du toit.

 

"La Tigresse", vase you du XIème siècle. Pour un ustensile de cuisine, l'iconographie grotesque est renversante. Le petit chien sur sa tête a pas l'air, mais il est encore plus méchant !

 


Tout cet attirail symbolique, tentative de domestication des forces invisibles, établit une passerelle avec le monde des morts. C’est une véritable transmutation, « magification » que subissent les aliments qui sont préparés dans ces vases lors des rituels, parfois sacrificiels. Le jade, qui servait à confectionner de petits objets très précieux, opère la même connexion avec les morts et le sacré.

En parlant de sacrifice, vous connaissez La mort de Sardanapale, de Delacroix (ici) ? Les empereurs chinois ont longtemps été adeptes de ce genre de pratiques, ordonnant la mise à mort de leur garde personnelle, de leurs servantes et concubines, de leurs esclaves, de leurs animaux etc… quand ils avaient un gros coup de mou. Pas de raison qu’eux restent en vie et pas leur souverain ! Ce serait injuste. Cependant, ils se sont vite assagis et ont préféré être accompagnés et servis dans leur mort par de petites figurines de terre cuite moins réticentes à se laisser enterrer, les mingqi. Comme toujours, c’est l’art funéraire qui se trouve le mieux conservé, et heureusement, puisqu’il épouse en général très fidèlement la structure de la société qui le lègue ; les

musées regorgent donc de ces petits mingqi.

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